C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès du camarade Claude Renard, figure emblématique du Parti Communiste de l’après-guerre.Claude s’était retiré de la vie politique active depuis de nombreuses années, mais, doté d’une analyse toujours pertinente et rigoureuse, il restait un observateur très attentif de la politique. D’une nature discrète, voire effacée, il s’était imposé, grâce à sa riche culture, à une connaissance aigüe du marxisme ainsi qu’à une grande capacité d’analyse, comme un leader incontournable du Parti Communiste en en franchissant les différents échelons jusqu’à la Présidence de l’aile wallonne du Parti en 1983. Il avait aussi assuré plusieurs mandats comme conseiller communal à Tournai, comme Sénateur provincial et comme membre de du Parlement de la Communauté française de BelgiqueFédéraliste convaincu, il défendait un fédéralisme rassembleur, à la fois porteur d’un projet socialiste novateur pour les régions et singulièrement pour la région wallonne, mais dépourvu de tout nationalisme étroit. La solidarité de classe restait pour lui un moteur incontournable dans la lutte pour le socialisme en Belgique. En 1983, dans une analyse intitulée La Wallonie reste à faire, destinée à une revue flamande et parue dans les Cahiers Marxistes, il écrivait : « Les discussions (…) ne pourront évoluer favorablement que si une autre cohérence politique l’emporte (…) : développement des luttes interprofessionnelles, refus de la gestion de la crise (donc réindexation et réduction de la durée du travail avec embauche compensatoire), réformes de structures antimonopolistes et fédéralisme. Par conséquent, solidarité des travailleurs en Wallonie et avec les Flamands. »Sa vision de la marche vers le socialisme en Belgique s’inscrivait dans la ligne impulsée par feu Marc Drumaux, un socialisme profondément ancré à la fois dans les réalités nationales et régionales sans exclure la solidarité internationale. C’est à partir de ce lien étroit qu’il proposa au comité central du PCB, en janvier 1978, une analyse critique sur la solidarité internationale et l’eurocommunisme : « L’idée de l’« Eurocommunisme » est née de cette diversification (des situations nationales en France, en Italie et en Espagne, ndlr). Il n’y a aucune raison de considérer qu’elle recouvre une machination de l’impérialisme bien qu’elle soit ambiguë. (…) Il ne fait aucun doute que le développement du capitalisme monopoliste d’état et sa crise a créé un cadre général commun pour les luttes des PC d’Europe occidentale et pour la poursuite d’objectifs politiques qui participent à la même orientation générale antimonopoliste, de la même vision de la voie démocratique au socialisme (….) » Et il ajoutait plus loin : « Donc, si les objectifs généraux des PC d’Europe occidentale s’apparentent largement, s’il existe entre eux une solidarité spécifique dictée par une évidente communauté d’intérêts, leurs conditions de lutte, leur stratégie et leur tactique varient fortement d’un pays à l’autre. » Regard critique, il n’en reste pas moins que Claude approuvait, bien des années plus tard, l’adhésion du PCWB au Parti de la gauche Européenne.L’apport de Claude, c’est aussi une somme d’articles, d’éditoriaux, de rapports, d’analyses, de textes de conférences (Marxisme et politique -1973-, Marx pour notre époque -1987-, Extrêmes droites et fascismes -1998-, 1789, son contexte, ses prolongements historiques -2009) où chaque mot, chaque phrase étaient pesés avec minutie. Ce sont aussi plusieurs ouvrages de référence comme La conquête du suffrage universel en Belgique ou Octobre 1917 et le mouvement ouvrier belge, édité en 1967 et réédité en 2017.Une étude complète des écrits de Claude Renard serait, aujourd’hui encore, d’une grande utilité tant pour celles et ceux qui se réclament toujours du communisme que pour celles et ceux que s’identifient à la gauche en général.Mais son talent pour l’écriture ne se cantonnait pas à la politique et à l’histoire. Claude Renard était aussi poète et auteur de quatre recueils – Qui ça IL ? en 1994, Les mauvaises rencontres en 2005 et Des sons lestés de sens en 2008 et Fermez la parenthèse en de 2012, ainsi qu’un roman Des moments de lucidité. Journal d’un ex-salaud en 2010 et un recueil de nouvelles Cela s’est vu en 2010 – illustrant son talent d’écrivain.
LE TRAIN DES MINEURS
C’était en 1953
Dans leur wagon de bois où seule lui l’orange
que de gros doigts bourrus pèlent négligemment
les voyageurs de l’aube ont des poses étranges
vagues noyés vomis par un vague océan
Les jours refont à perdre haleine les semaines
Par un vague océan vomis vagues noyés
au flou de l’aube ici le même flux ramène
l’anguleux abandon de ces grands corps ployés
C’est ici le pays de l’éternel automne
une pénombre jaune et froide qui déteint
sur tout ce qu’elle effleure et furtivement donne
un de ses reflets à tous ces yeux éteints
Ainsi vont-ils d’ahan s’égailler dans des gares
portiques de la nuit sonore dont les feux
allument des lueurs de campements barbares
où ciels bas et terrils se confondent cendreux
Ils y débarquent gourds et s’en vont à l’ouvrage tout au fond de trous noirs – « Héribus » ou « Crachets »
– entre talus et murs entre murs et grillages univers aux couleurs de leurs poumons crachés
Homme généreux, Claude Renard a légué son corps à la science.
